Page:Dorgelès - Le Cabaret de la belle femme.djvu/146

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— Bon Dieu, mais je suis au ciel !

Lousteau sentit ses jambes fléchir et son cœur sonner, si bouleversé qu’il ne fut même pas surpris d’être mort. Il était au ciel… Un vent léger, tout chargé de musique et de parfums, caressait le visage frémissant des arbres. On ne voyait pas le soleil, mais il était partout, semblant jaillir des choses.

Lousteau, qui marchait depuis un moment, encore inconscient, sur un tapis épais et doux qu’on ne sentait pas sous le pied, s’était arrêté, ébloui, et regardait. C’était bien ainsi qu’il avait toujours imaginé le paradis, d’après les documents vagues mais concordants des images de première communion et des chansons sentimentales.

Il allait comme on va dans les rêves, sans s’étonner du décor qui se mettait à changer rapidement autour de lui, comme se suivent des tableaux désordonnés de cinéma. Il était dans une allée de parc, puis dans une tranchée boueuse aux parois gluantes, puis dans un beau jardin d’été, sur les boulevards aux trottoirs pluvieux lustrés de lumière, dans un vaste palais en fête… Les êtres étranges qui l’entouraient se transformaient à mesure. Les soldats subitement devenaient des anges blonds ; une jeune fille qui avait des ailes jetait sa perruque et se sauvait, changée en chasseur à pied, hurlant : « Le poste de secours ! Où se trouve le poste de secours ?… »