Page:Dorgelès - Le Cabaret de la belle femme.djvu/18

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des, vers le marchand de vins dont la buvette regorge.

Beaucoup rentrent chez eux pour déjeuner. Quelques-uns, vautrés sur les talus, mangent de la charcuterie et boivent à la régalade. Le troquet a mis hier une pancarte à sa devanture : On peut apporter son manger, et des femmes viennent rejoindre leurs maris, avec du rôti froid dans un filet.

On parle fort. On rit. Dans la salle du billard, un ouvrier, debout, chante Le Rêve passe… S’il y avait un marchand de frites et une escarpolette, on se croirait un dimanche, à Nogent…



Assis à la terrasse, devant un litre de vin blanc, nous regardons courir sur le boulevard poudreux les chevaux de réquisition que trois officiers examinent.

Conduites, la longe courte, par des vieux inhabiles qui ont de la peine à courir, les bêtes arrivent en trottinant, chevaux de fiacre aux jambes maigres et aux flancs en cerceaux et percherons à croupe large, dont la lourde tête pendante semble toujours chercher un reste de grain au fond d’une mangeoire vide.

Un des chevaux, abandonné par son conducteur, a senti l’herbe des fortifications, cette herbe encore vivante dont il ne connait plus le goût. Sa grosse tête sans mors, sans bride, sans œillères, sa pauvre tête ridiculement nue se tourne vers le