Page:Dorgelès - Le Cabaret de la belle femme.djvu/17

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plus que déserteur, moi : j’ai sept condamnations.

Et, pour montrer qu’il ne se vante pas, il sort de sa poche un casier judiciaire tout neuf, soigneusement plié dans un carnet crasseux, comme une pièce rare. La feuille est presque pleine, et de son gros doigt à l’ongle rongé l’homme désigne chaque alinéa.

— Vous pouvez compter, y en a bien sept… Toutes pour outrages aux agents, excepté une que c’était une bêtise de jeunesse… Moi, les bourriques, je ne peux pas les encaisser… La dernière fois, ils m’ont fadé : six mois… Eh bien, je trouve que je devrais passer avant les insoumis.

Le lieutenant, que tous les hommes questionnent à la fois, s’éloigne sans tourner la tête.

— Mon lieutenant ! supplient les réservistes, empilés dans la travée voisine… On nous envoie de La Tour-Maubourg, on n’a pas de livrets.

— Et les engagements ? crions-nous de notre côté.

Mais la porte claque derrière l’officier, et après une longue clameur de désappointement, les hurlements fondent en brouhaha. On se résigne.

— Pour ce que nous avons à faire, on peut attendre, hein, dit le couvreur qui s’éloigne avec ses copains.

La cohue s’émiette, notre champ de foire se vide. Ceux qui étaient au bout de la file se rapprochent vite de la porte, dans l’espoir de passer les premiers, tandis que les autres, découragés. vont s’étendre sur l’herbe ou se dirigent, par ban-