Page:Dorgelès - Le Cabaret de la belle femme.djvu/22

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écouter le récit de ses mornes paillardises : la fois où il a culbuté la concierge dans sa loge, la fois où il avait emmené une petite dans le bois de Clamart, la fois où il est parti sans payer rue Blondel… Un coup de tonnerre vient interrompre son roman d’amour.

À peine a-t-on pu voir le ciel s’obscurcir : l’orage crève aussitôt. Une brusque rafale de pluie nous fouette en plein visage, et c’est la débandade, dans une explosion de cris amusés : un vrai déjeuner champêtre surpris par une giboulée. On traverse le boulevard en courant, les épaules hautes, pour arrêter l’eau qui glisse dans le cou. En trombe, on envahit le café…

La pluie crépite et rebondit, faisant passer sur la chaussée comme des moires, des ondes rapides d’eau vaporisée. Sur le trottoir, les lourdes gouttes tambourinent furieusement.

On blague ceux qui sont restés adossés au bastion, se croyant à l’abri.

— Hé ! là-bas, les troupes sont fraiches ?

Bientôt, la gouttière déborde, et c’est une cataracte qui tombe du toit sur les camarades.

— Ça y est ! Ils ont gagné ! triomphent bruyamment ceux du café.

Ceux d’en face se sauvent, le veston collé aux épaules, sautant dans les flaques d’eau, et tout le monde se tord. Parfois, sous le store du mastroquet, la pluie nous atteint aussi, d’une gifle froide, et le groupe serré se tasse en riant. Puis, tout d’un coup, l’orage s’arrête, comme il est venu, son arrosoir vide. Et le soleil luit…

— La porte s’ouvre ! crie quelqu’un.