Page:Dorgelès - Le Cabaret de la belle femme.djvu/21

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foule apaisée flotte mollement devant le bastion. Les plus enragés s’égosillent :

— Qu’on nous dise au moins quelque chose, bon Dieu ! Est-ce qu’il faut rester ?

— C’est-y aujourd’hui ou pour demain ?

— Tu parles d’une organisation !

Mais on se lasse aussi de crier et la faction reprend, monotone. Le gros rougeaud, dont le front ruisselle, a fait sauter d’un coup de pouce le bouton de sa chemise dont le col l’étouffait.

— Sûrement, ils le font exprès pour nous faire crever, mugit-il d’une voix qui s’enroue. Qu’on nous envoie en Prusse, nom de Dieu, puisqu’on ne leur demande pas autre chose…

Aussitôt, l’idée des plaisirs qui l’attendent là-bas amollit son visage crispé.

— Sans blague, je crois qu’on va rigoler un bon coup. C’est qu’elles sont girondes, les petites Boches, faut pas se gourrer. J’en ai connu une qui était placée chez mes patrons, vous parlez d’une bonne affaire… Eh bien, là-bas ; il n’y aura qu’à tendre la main pour en cueillir.

Mais une idée grave barre son front d’un pli soucieux :

— Seulement, pas de blague, faudra faire attention aux gosses. Repeupler la Prusse, leur fabriquer de beaux mômes, ça n’a rien à faire… Mais il y a toujours moyen de moyenner, pas vrai ?

Et sa bouche gourmande se fend jusqu’au milieu des joues, rien qu’à parler de ces joies défendues.

C’est moi qu’il a pris pour confident et je dois