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LE CABARET
DE LA BELLE FEMME


J’y pense toujours, à ce cabaret au nom troublant, lorsque j’entends des gens parler d’amour au front, d’idylles sous les obus, ou que je lis un de ces contes stupides et charmants où la fille du fermier porte des bas de soie et où le petit sergent garde des violettes séchées plein sa cartouchière. Comme la guerre sera jolie, racontée dans cent ans ! Ce sont toujours les mêmes histoires qu’on nous raconte, d’ailleurs, et cela se déroule dans le même village rose et bleu, dont les habitants marcottent des hortensias au lieu de vendre de l’amadou au mètre.

C’est l’ardente marraine qui rejoint son filleul au cantonnement, déguisée en paysanne, avec un fichu de dentelle et des sabots à talons Louis XV ; c’est la belle comédienne, en tournée aux armées, qui s’éprend d’un petit bleu, timide et brave, qu’elle suit désormais de secteur en secteur, cachée dans la voiture d’infirmerie régimentaire ; ou bien, c’est la bergère aux yeux candides qui, toute rougissante, interroge le ciel, en comptant les coups de canon : « Il m’aime… un peu… beaucoup… » comme si elle effeuillait la marguerite. Ah ! tendres balivernes qui faisiez rêver les