Page:Dorgelès - Le Cabaret de la belle femme.djvu/33

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— Présent ! Moi !… Moi !… Lousteau… Ricois… Desmet… Moi, mon capitaine…

Ils étaient tant qu’il fallut choisir. Je fus de la petite troupe, qui s’en alla joyeuse, laissant les camarades rongés d’envie sous leurs gourbis malgaches.

Nous avancions à l’aveuglette, le dos bossu sous les rafales, les souliers lourds de marne. Oh ! personne n’était plus fatigué. Dans le clapotement des pas arrachés à la boue et le cliquetis des baïonnettes, j’entendais des voix assourdies, qu’on devinait chargées de jubilation.

— Eh ! dis donc, vieux, le cabaret de la Belle Femme… Tu parles d’une affaire ! Comment qu’on va avoir la crise… Et qu’est-ce qu’il doit y avoir comme vieilles bouteilles… Moi, je me figure que c’est une grosse, la patronne, une bath brune.

Ce n’était pas le sergent Prévost qui nous menait : c’était l’Illusion, c’était l’Amour.

On pataugeait dans la boue, on enfonçait dans des mares sournoises et parfois, trébuchant dans les betteraves, un homme tombait de tout son long avec un affreux tintamarre de quart et de gamelle. Mais, malgré tout, on les entendait rire, et la patrouille ensorcelée suivait le sergent sans se plaindre.

Comme la pluie redoublait, Lousteau murmura, gourmand :

— On lui fera faire du vin chaud, hein, les gars ?

— Moi, tout de suite au dodo, se promettait