Page:Dorgelès - Le Cabaret de la belle femme.djvu/34

La bibliothèque libre.
Cette page a été validée par deux contributeurs.

voluptueusement un autre… Pense, ça fait bien deux mois…

Le long de la route, aux ormes gonflés d’eau, nous avancions en file indienne, l’arme à la main.

— On approche, fit le sergent.

Les dos se redressèrent, on allongea le pas… Enfin, nous arrivâmes. C’était là…

Oui, c’était bien ce que j’avais prévu. Le cabaret consistait en un pittoresque petit tas de moellons concassés et de briques pulvérisées, sur lequel se dressait bizarrement un squelette de toit, tombé tout d’une pièce sur les ruines, ses tuiles apeurées envolées devant l’obus comme une nichée de pigeons rouges. Les vieilles bouteilles étaient dessous, la belle femme aussi, peut-être… Et, blottis dans ces ruines ; nous y passâmes une nuit atroce, transis, trempés, à guetter l’ombre hostile où rôdaient les Boches.

Ce fut ma seule histoire d’amour au front. Dans mon esprit, l’aventure est restée comme le symbole de la guerre. On y partit presque joyeux, croyant à l’Aventure… Et l’on en est revenu, déçu, après des jours, des mois, des ans, pareillement gris, sans avoir rien vu que des ruines, sous lesquelles il y avait, peut-être, quelque chose…



Mais c’est déjà bien beau d’avoir à conter une anecdote. Combien n’ont même pas eu, en quatre ans de campagne, la joie amère d’une déception ? La vérité, la triste vérité, c’est qu’il n’y