Page:Dorgelès - Le Cabaret de la belle femme.djvu/42

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plie de luzerne, comme dans une bergère de verdure, je lui prédisais avec assurance Paris à ses pieds, des automobiles, des bijoux, le théâtre tous les soirs, ce qui la faisait frissonner, et son bain tous les matins, ce qui la faisait rire.

Elle m’aimait, je crois, surtout pour mes mensonges, mais elle m’aimait. Ainsi, un jour que nous remontions aux tranchées, elle me demanda en soupirant une mèche de cheveux, désir saugrenu que je ne pus satisfaire, étant alors tondu comme un navet. Elle se consola en acceptant une bague en aluminium et des bonbons anglais. Puis, il fallut se séparer : ma division partait pour l’Artois. Un soir, le long d’une haie de genévriers nous nous dîmes adieu. La nuit était piquée de tant d’étoiles qu’on eût dit qu’elle criblait de l’or dans son van bleu.

— Je ne veux pas que vous m’oubliiez, me dit ma petite amie, les yeux au ciel. Alors, tous les soirs, à dix heures, nous regarderons la même étoile pour penser l’un à l’autre.

Aussitôt, le nez levé, les doigts mêlés, nous cherchâmes notre étoile. Nous en choisîmes une, dans le voisinage du Chariot de David, pas trop petite, mais pas trop grosse : on l’eût dite faite pour nous.

Fiérote, ma petite amie se rengorgea.

— Je serai la seule du pays à avoir mon étoile, les autres filles sont bien trop bêtes… Vous la reconnaitrez, au moins ?

— Je la reconnaitrai !

Un dernier baiser, un dernier adieu de la main : je partis.