Page:Dorgelès - Le Cabaret de la belle femme.djvu/58

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veux sont à lui, qu’il peut en disposer à sa guise, — et : « ces cheveux-là », c’est-à-dire une toison sans propriétaire, quelque chose d’innommable, les cheveux à tout le monde.

Noisard avait donc prescrit la tonte des cheveux de Lousteau, et ç’avait été le début d’une offensive acharnée dont la tête du soldat était l’objectif. Dès qu’il se sentit « repéré », Lousteau devint invisible. En prêtant l’oreille, on pouvait encore l’entendre, car sa voix portait loin, mais, pour le voir, mieux valait y renoncer. Ce n’était plus un soldat, c’était une ombre, une illusion, un courant d’air…

À peine arrivions-nous au repos qu’il disparaissait comme par enchantement, ayant immédiatement trouvé un coin où s’embusquer. Il était de garde aux issues, guetteur pour les avions boches, surnuméraire aux corvées de clayonnage et, grâce à ces « filons » singuliers, il travaillait le jour, veillait la nuit, passait son temps jugulaire au menton pendant que les autres jouaient à la manille, mais il « coupait aux revues de tiffes ».

Malheureusement, l’adjudant Noisard était sur sa piste, aussi résolu à le faire tondre que l’autre à garder sa toison, et comme Lousteau se croyait encore une fois sauvé, s’étant fait embaucher dans une équipe de moissonneurs, il arriva une note du bureau qui enjoignait à Lousteau (Eugène) de se trouver le lendemain matin sur les rangs pour une revue de détail qui ne présageait rien de bon. Le lendemain matin. Lousteau se faisait porter malade.