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UNE NUIT SOUS BOIS


Le soir s’est avancé si lentement qu’on ne l’a pas vu venir ; sans doute s’est-il glissé par les taillis : des lambeaux de brume sont restés accrochés aux branches. Tous les bruits se sont tus, emportés dans la traîne du jour. Plus de roulades, plus de cris : les oiseaux rêvent dans les arbres et les hommes dans la tranchée.

La forêt apaisée écoute le soir qui rôde. Est-ce lui qui fait craquer si légèrement les brindilles sous son pas bleu ? Est-ce lui qui vient d’appeler la chouette dont le cri rouillé inquiète le guetteur immobile ? Très loin grondent encore des canons assourdis, comme un chariot attardé qui s’éloigne.

Soudain, les grenouilles s’éveillent. Au même instant, toutes celles qui sautaient autour des mares, toutes celles qui dormaient dans les joncs de la Miette, toutes celles qui glissaient sur la mousse humide de la forêt se sont mises à coasser, et l’on croirait entendre la chaîne d’un puits qui grince, grince interminablement sans arriver à remonter son seau.

Les trembles dépouillés sont habillés de dentelle noire : les taillis bleus, sous bois, ont des airs vaporeux, et il pousse du muguet sous les