Page:Dorgelès - Le Cabaret de la belle femme.djvu/72

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— Ce que j’ai eu ? Un coup de réveille-matin sur la gueule.

Je ne réponds rien, méfiant.

— Ne crois pas que je t’étrangle, hein. C’est pas du pour… À l’hôpital, ces ballots-là, ils n’ont pas voulu le mettre sur mon papelard, ils ont peut-être cru que je les mettais en caisse, alors ils ont écrit « par un coup de crosse ». C’est des gars qu’ont jamais rien vu… J’avais un arrachement de l’orbiculaire palpébral, c’est le dessus de l’œil qu’ils appellent comme ça… Et ça larde, hein, c’est sensible ces parties-là…

Curieux, je lui demande :

— Comment as-tu reçu ça ?

— C’est en septembre, à Saint-Thierry… On coursait des Boches qu’étaient restés planqués dans les crèches, un peu schlasses… Moi j’étais avec Haton, le cycliste, tu le connais ? Un petit gars tout ce qu’il y a d’affranchi. Et puis deux autres copains qui ont été évacués… On rentre dans une ferme, hein ; il y avait trois Boches… Ni eux ni nous, il n’y en a pas eu un seul qui a eu l’idée de tirer, peut-être aussi qu’on avait peur de se moucher l’un l’autre… Moi, par-dessus la table, j’essaye de foutre un coup de baïonnette à un grand rouquin qui était de l’autre côté, alors, c’te vache-là, il prend un réveille-matin qui était sur la commode, et « vlan ! » il me le fout en poire… Mon vieux, j’en suis tombé assis. Je ne voyais plus clair, tout tournait…

— Et les Boches ?

— On en a tué deux… Le troisième en a joué