Page:Dorgelès - Le Cabaret de la belle femme.djvu/73

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par la fenêtre… C’est pas ordinaire, hein, comme blessure ? On pourrait croire que j’abîme, que c’est du chiqué. Eh bien, c’est tout ce qu’il y a de vrai, t’as qu’à demander à Haton… Il est au téléphone, maintenant… C’est un truc que j’aimerai bien moi, d’être téléphonard. T’es autonome, pas vrai… Ils font la cuistance à leur idée, c’est des gars qui se soignent. Et puis, tu ne fais pas les attaques… J’ai demandé à y passer, mais ça n’a rien rendu. Et remarque que j’en sais peut-être plus long que les autres sur le business, attendu que mon frangin a travaillé dans la partie… Mais sans piston, au régiment, t’arrives jamais à rien…

Il se tait un moment, et remue les épaules d’un mouvement circulaire, pour faire tenir ses poux tranquilles. Il réfléchit.

— T’as fait la retraite ? me demande-t-il.

— Non.

— Ah… C’est curieux ce qu’on a pu changer, depuis… Tiens moi, au début, c’était avant Guise, comme j’étais une nuit en sentinelle devant un petit bois, je vois un gars à cheval qui se radinait de mon côté. Je me dis « c’est un uhlan », parce qu’à ce moment-là, on se figurait que chez les Boches, ils étaient tous uhlans. Alors, j’arme mon flingue, et je crie « halte-là ! » L’autre n’arrête pas… Moi, je continue, comme aux manœuvres « Halte-là !… Halte-là, ou je fais feu… » Eh bien ! mon vieux, je n’osais pas tirer. Ça me faisait quelque chose de tuer un homme, même un Fritz, ça me faisait peur…

— Alors, il s’est sauvé ?