Page:Dorgelès - Le Cabaret de la belle femme.djvu/83

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L’air sûr de lui, il alla prendre sa pelle-bêche sur son sac ; malheureusement, comme il dénouait les courroies, la corvée d’eau reparut. Je fus presque déçu. Sans doute, je bus avidement un quart, mais cette eau où chacun lavait son gobelet me parut tiède et sale. J’eusse préféré l’eau vierge de la source invisible, née d’un coup de baguette. En bâfrant le rata vite préparé avec des oignons tombés du ciel et du saindoux venu d’on ne sait où, je dévisageais curieusement le sourcier. Cet homme m’étonnait.

J’ai toujours jugé les gens sur la mine ; d’un regard, je décide sans appel si un homme est loyal ou sournois, une femme fidèle ou catin, et ma conduite envers eux dépend uniquement de cette impression première. Chaque fois, je me trompe. Je suis invariablement bafoué par ceux à qui je me suis fié aveuglément et je découvre généralement trop tard la bonté des braves gens à qui j’ai montré, dès le début, l’humeur accueillante d’un porc-épic dérangé dans son premier sommeil. C’est ma façon de comprendre la psychologie.

Du premier coup, donc, j’avais deviné la franchise, le calme, et par-dessus tout l’astuce sur le visage bruni du camarade, creusé aux joues de deux rides profondes, et dans ses petits yeux gris, plissés au coin et étrangement vifs.

— C’est Maroux, m’apprit un copain. Il est braconnier, contrebandier, qu’il dit… Un gars qui se débrouille.

Je l’aurais juré. Je fraternisai avec lui en partageant une boite de pâté et un morceau de pain