Page:Dorgelès - Le Cabaret de la belle femme.djvu/84

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d’épices. J’aurais voulu le faire parler, mais il était avare de ses mots, comme un trappeur des livres de mon enfance. Quand il eut bien mangé, il me dit seulement, en clignant de l’œil :

— T’occupe de rien. Je veillerai à tout. Y en a pour toi, y en a pour moi… Je trouverai un bœuf où personne ne trouverait un œuf… T’auras qu’à me suivre.

Je le suivis. Le soir, le régiment poudreux et fourbu s’arrêta dans un village marmité, où les cantonnements étaient rares et les paysans renfrognés. Ma section hérita des communs d’un château et les camarades, l’arme à la main, se ruèrent sur l’échelle de la grange comme un équipage de forbans se lançant à l’abordage. Maroux m’avait retenu par le bras.

— Laisse-les, me dit-il… je vais nous trouver un coin.

Hébété, je m’accotai contre la margelle du puits et j’attendis, plein de confiance, qu’il revint de sa battue. Je me rappelle confusément son retour, entrevu dans un demi-sommeil. Mais ce dont je me souviens parfaitement, c’est que nous couchâmes, cette nuit-là, sur les pavés glacés d’une écurie déserte, tandis que les autres ronflaient au chaud, enfouis dans la paille du grenier. Maroux, lui, dormit très bien.

Le lendemain, tôt éveillé, il me dit :

— Je vais trouver du lait, on fera du chocolat.

Il revint juste à temps pour mettre sac au dos, sans une goutte de lait, mais avec un petit air