Page:Dorgelès - Le Cabaret de la belle femme.djvu/88

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la dernière classe que ses façons mystérieuses, sa réputation de sourcier et ses mensonges laconiques épataient encore. On les trouvait toujours, lui et ses bleus, couchés sur la dure, dans les cantonnements où chacun avait son coin de grange, et rigoureusement privés de vin dans les villages où tout le monde était saoul à périr : il se débrouillait à sa manière. Une nuit, en reconnaissance, il en perdit même un.

Enfin, ce fut la grande attaque de septembre.

Maroux avait touché une capote neuve et Lousteau, qui avait la sienne déchirée, le lui reprochait en termes outrageants, avec des tas d’autres choses, notamment de s’être fait passer pour braconnier, lorsqu’il n’était que rétameur.

On enleva deux lignes de tranchées, mais sur la troisième ligne, le combat fut féroce. Sous les 210 et les rafales de mitrailleuses, il fallut se terrer dans un boyau boche. Le sourcier, seul, voulut se nicher à son idée, dans une sorte d’entonnoir qu’il avait découvert. La nuit passa, mouvementée, et le petit jour découvrit le cadavre étendu de Maroux, seule chose neuve dans cette plaine usée.

— Pauvre gars, soupira Lousteau, j’avais bien dit qu’on avait tort de lui refiler une belle capote…

Et ce fut là toute l’oraison funèbre de Maroux, le braconnier, que j’ai laissé quelque part en Artois, sur la terre à personne où les ronces sont de fer rouillé et les terriers creusés à coups d’obus.