Page:Dorgelès - Le Cabaret de la belle femme.djvu/97

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amassant sur le village leur fumée noire ou verte, tour à tour âcre et surette.

— Ça ne sert pas de s’engueuler, geignait Mahieu écarlate… Ça serait affreux qu’on les perde… Ben on pourrait se mettre la corde pour les permissions… Où qu’ils sont passés, bon Dieu !

Le bombardement devint soudain si violent qu’ils durent s’arrêter, blottis entre les ruines. Ils virent devant eux un grand mur s’abattre dans le coup de tonnerre d’un 210. Percutants et fusants se fracassaient. Des geysers de pierres broyées jaillissaient des décombres. Ce fut un instant de vertige.

— Ils ont dû se planquer, fit Grandjean lorsqu’il reprit ses esprits. Profitons-en. Grouille…

Ils repartirent, courbés, l’arme à la main. Ils tournèrent, sautèrent, battirent les ruines, et tout à coup, comme ils allaient y renoncer, ils aperçurent, glissé sous un tas de gravats, un dos gris qui se cachait. C’était un des prisonniers.

— Bon Dieu, on les tient ! beugla Mahieu.

— Où qu’est ton copain ? interrogea Grandjean.

L’autre les regarda avec des yeux stupides, sans comprendre. Puis il hocha la tête et dit simplement : « Pas bon… », ce qui devait, dans son esprit, suffire à apprécier les événements.

— Ton ami, insista Mahieu. Ton camarade ? Kamerade…

Le prisonnier, résigné à son ignorance, n’essayait pas de comprendre.

— Ya, fit-il complaisamment, Kamerades…