Page:Dorgelès - Les Croix de bois.djvu/102

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raves dures, se traînant, ils chantent. Leurs voix étranglées rôdent, de l’autre côté de la broussaille barbelée ; ils cherchent la chicane…

— Par ici, les gars !…

Un homme saute dans la tranchée.

— Y en a de mouchés ?

— Je ne sais pas… Ils nous ont entendus, les vaches. C’était forcé, avec leur saloperie de cisailles qui s’entendent à une lieue.

D’autres se laissent glisser dans notre trou, l’arme à la main. On distingue un groupe sombre qui s’avance lentement.

— Ne tirez pas. Un blessé.

Par-dessus le parapet, on leur tend la main. Péniblement ils font descendre leur camarade qui geint. Il se tient courbé en deux, comme cassé, touché aux reins.

— On en a laissé un autre près du ruisseau… Une balle en pleine tête. Tu parles que leur mitrailleuse tirait bas.

On entend encore une voix égarée qui chantonne. Elle se rapproche enfin. Un saut dans la tranchée. Plus rien.

— Tout le monde est rentré attention, fait passer Berthier.

— Tout le monde est rentré, répètent les guetteurs.

Dans un gourbi, derrière moi, des voix discutent :

— Après c’te patrouille-là, ils vont se douter de quelque chose… On va encore être bonards… Et le troisième bataillon, pourquoi qu’il n’attaque pas ?

J’écoute avec peine, je m’engourdis. Encore une heure un quart… Je vais compter jusqu’à mille, cela