Page:Dorgelès - Les Croix de bois.djvu/107

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avec la bague ! Ma foi, nous avions bien mangé.

— Si les Boches m’font l’autopsie, ils ne me trouveront pas le buffet vide, avait dit le grand Vairon, les joues violettes et le ceinturon débouclé.

C’est là, dans cette grange au toit hérissé de chaume, que nous avions entassé nos sacs. Ils y sont encore, presque tous, l’ossuaire d’un bataillon. C’est un tragique fouillis d’outils rouillés, d’équipements, de havresacs éventrés, de cartouchières, de musettes. Du linge traîne, déjà boueux. Une boule de pain pas entamée, un goulot qui dépasse, des paquets de lettres, des cartes en couleurs, si niaises et qui feraient pleurer… Malgré soi, on lit les noms, sans se baisser : je les connais tous…

Ça, c’est la veste de Vairon. Il l’avait laissée craignant d’avoir trop chaud. On a tout fouillé, on s’est partagé le chocolat et les boîtes de singe, et on a noué dans un mouchoir les papiers, les pauvres bricoles qu’on envoie aux familles : héritages de soldats. Une photo a glissé dans l’ornière : une maman en robe des dimanches, son gros bébé sur les genoux. Des chemises encore pliées, des paquets de pansement, une pipe. Et, perdu sur ce tas misérable, un coussin de soie, un beau coussin rose, amené là on ne sait comment, par on ne sait qui.

Bon sang, mais cela tonne dur…

C’est comme un gros convoi qui roule, un orage assourdi qui gronde et se rapproche. Puis la fusillade commence à pétiller, tout un brusque fracas d’attaque.

Le chien inquiet rentre le premier, l’échine basse. Puis les volailles apeurées, puis les deux petits veaux, soudain surpris de se voir seuls dans le courtil. L’âne