Page:Dorgelès - Les Croix de bois.djvu/111

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et la longue file des blessés clopinants, qui traînaient leurs pattes sanglantes. Sur le pas de sa porte, la mère Bouquet, larmoyante, cherchait à reconnaître ses clients, dans le défilé. En plein champ l’institutrice avait installé une sorte de relais, où elle attendait les blessés avec un broc de citronnade.

Le curé – un vieux brave homme qui nous aime bien – ne s’est pas couché de la nuit ; au petit jour, il donnait encore l’absolution à des mourants.

On en a enterré six fosses pleines, et les derniers ont dû attendre, mis en tas dans un coin, que les territoriaux eussent fini de creuser le trou. On n’a pas trouvé de fleurs pour parer leurs tombes, que quelques giroflées transies, et c’est ce qui a donné l’idée aux Thomas d’ouvrir un rayon de couronnes.

— On gagne encore plus là-dessus que sur la conserve, a avoué le gros homme.

Il y en a tout un choix, sur une étagère, alignées comme des liqueurs de marque. On en trouve de toutes simples, en immortelles jaunes, qui sentent la pharmacie, et de grandes en perles, où s’entrelacent des fleurs noires à tiges violettes.

— C’est pour la clientèle aisée, celles-là, me dit Demachy qui les examine complaisamment, en monsieur sérieux qui réfléchit avant d’acheter.

Et il ajoute gentiment :

— C’est une comme cela que je t’offrirai.


La soupe mangée, les boutiques se remplissent et les rues s’animent. Le village prend un air de dimanche. Tout le monde est dehors : de vieilles grand’mères qui trottinent, des bidons en bandoulière,