Page:Dorgelès - Les Croix de bois.djvu/112

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des gosses qui piaillent en jouant à la marelle avec les débris du calvaire abattu par un 305, des paysans qui ne vont plus aux champs, et des soldats, des soldats…

On se bat à la porte des épiceries, sans trop savoir ce qu’on y achètera. Au passage, on se donne des tuyaux.

— Hé ! ils n’ont plus de pinard au Comptoir français.

— La maîtresse d’école a reçu des saucisses.

— Y en a aussi chez le charron, mais faut se grouiller.

Tout le monde est marchand, ici ; chaque maison est une boutique, chaque ferme un cabaret, et toutes les fenêtres sont enguirlandées d’amadou au mètre, en guise d’enseigne. Le charcutier vend des peignes et M. le maire du tord-boyaux.

Devant le Comptoir français, trente soldats se bousculent et braillent. Rien que des bidons vides.

— Tas de vaches, crie un des hommes, en fendant le groupe pour s’en aller. Comment que j’serai heureux l’jour où une marmite défoncera leur crèche !

— Y a que les cognes qui sont bien reçus ici, approuve un autre. Ils sautent la patronne, tu comprends, comme ça elle est parée pour les contraventions et eux ont la croûte…

La porte du boulanger est verrouillée, les volets mis. Une douzaine de naïfs font pourtant la queue dans l’espoir insensé d’avoir un peu de pain chaud. Un arrêté du maire interdit d’en vendre à d’autres qu’aux civils, et la porte ne s’ouvre pas.

Nous l’avons vu en gerbes, pourtant, en meules