Page:Dorgelès - Les Croix de bois.djvu/12

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ensemble partirent à rire, d’un rire énorme qu’ils forçaient encore, étouffant, gesticulant, échangeant de lourdes claques sur les épaules comme des caresses de battoirs.

— Attaqués, qu’il dit… Tu parles d’un mec qui s’en ressent.

— Mais non, il a les foies…

— Attaqués, qu’il dit… Au fou… Lâchez les chiens !

Cette candeur inouïe nous faisait rire jusqu’à la suffocation. Le père Hamel en pleurait. Fouillard lui, ne riait pas. Il haussait les épaules, tout de suite hostile, regardant déjà de travers ce soldat trop propre qui parlait poliment.

— Un gars aux sous qui veut nous en mettre plein la vue, dit-il à Sulphart.

Le rouquin, uniquement préoccupé de parler plus que les autres, considérait le nouveau avec compassion.

— Mais, mon pauvre gars, lui dit-il, tu ne crois pas qu’on se bat comme ça ; c’était bon le premier mois. On ne se bat plus maintenant. Tu ne te battras peut-être jamais.

— Sûrement, approuva Lemoine, tu ne te battras pas, mais t’en baveras tout de même.

— Tu n’tirero jamais un coup de fusil, prophétisa Broucke, le « ch’timi » aux yeux d’enfant.

Le nouveau ne répliqua rien, pensant sans doute que les anciens cherchaient à l’épater. Mais l’oreille tendue, sans entendre Sulphart discourir, il écoutait le canon qui ébranlait le ciel à grands coups de bélier, et il aurait voulu être déjà là-bas, de l’autre côté des