Page:Dorgelès - Les Croix de bois.djvu/13

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coteaux bleus, dans la plaine inconnue où se jouait la guerre au parfum de danger.



Le nouveau s’est présenté à moi :

— Gilbert Demachy… Je faisais mon droit…

Et je me suis fait connaître :

— Jacques Larcher. J’écris…

Dès son arrivée, j’ai compris que Gilbert serait mon ami, je l’ai compris à sa voix, à ses mots, à ses manières. Tout de suite je lui ai dit « vous » et nous avons parlé de Paris. Enfin, je trouvais quelqu’un avec qui m’entretenir de nos livres, de nos théâtres, de nos cafés, des jolies filles parfumées. Rien que les noms que je prononçais me faisaient revivre un instant tout ce bonheur perdu. Je me rappelle que Gilbert, assis sur une brouette, avait posé ses pieds déchaussés sur un journal, en guise de tapis. Nous parlions, fiévreusement :

— Vous vous souvenez… Vous vous souvenez ?… Les copains aidaient les nouveaux à s’installer dans l’écurie où couchait l’escouade et empilaient leurs sacs avec les nôtres dans la mangeoire. Quand ils eurent fini, Gilbert tendit deux billets de cent sous pour offrir à boire.

— C’est ça, plein la vue… grogna Fouillard jaloux. Les autres, reconnaissants, retournèrent à l’écurie pour soigner la place du nouveau. Ils brassèrent sa paille pour la rafraîchir et lui firent un rebord aux pieds. Broucke avait pris respectueusement l’oreiller de caoutchouc de Demachy et s’amusait à le gonfler,