Page:Dorgelès - Les Croix de bois.djvu/126

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plaque d’âtre, aux trois fleurs de lis à demi rongées, et, piquant les tartines à la pointe d’une baïonnette, on se fait griller du pain.

Cela lui plaît, notre jeunesse bruyante de soldats. Et puis il aime à parler de nos travaux, de tout ce qu’on creuse, là-bas, dans ces champs.

— De bonnes tranchées, au moins ?… Vous ne les laisserez plus passer, ces bandits de Prussiens… Et ce poste d’écoute, où que vous le mettrez, à c’t’heure ?

Il connaît le secteur comme nous, boyau par boyau, sans y être jamais allé. Malgré ses airs bourrus, il doit nous aimer. Les cuisiniers m’ont dit que, le matin de l’attaque, il était plus agité que nous. Je leur ai demandé :

— Il connaissait l’heure de l’attaque ?

— Oui, comme tout le monde… Il nous l’avait demandée souvent.

La mère Monpoix, elle, n’entend rien « à toute notre guerre », mais la fille tient du père : une mémoire dure et fidèle de paysanne. Un jour qu’on parlait de batteries lourdes allemandes, démasquées dans le Bois Noir, elle avait dit :

— Ah oui, sur la cote 91.

Surpris, je l’avais regardée. Rien ne ternissait son regard naïf. Elle avait dû dire cela tout simplement, un chiffre retenu…

Les Monpoix sortent à peine. On leur a bien permis de rester à la ferme, mais il leur est interdit de circuler du côté des lignes. Pour se dérouiller les jambes, le père faisait autrefois le tour du village nègre, mais il s’est disputé avec les soldats, à propos de deux brancards tout neufs qu’ils ont pris pour faire le cham-