Page:Dorgelès - Les Croix de bois.djvu/165

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Les premiers qui sifflèrent nous jetèrent terrés au fond de la tranchée. Ce fut un déchirant fracas, et une gerbe de pierraille retomba sur nous en lourds grêlons. Bréval poussa un petit cri, touché à la nuque par un éclat mort ou un caillou. La peau seule était déchirée, mais il saignait.

— Pas de veine, lui dit Lemoine en lui mettant un peu de teinture d’iode… Si ç’avait pu te casser un bras, hein.

— C’est pas moi qu’aurais cette veine-là, regretta le caporal.

La journée se passa ainsi, courbés sous les obus, fuyant sous les torpilles.

Vers onze heures, cela redoubla et les hommes de soupe hésitèrent un bon moment avant de s’en aller, plus à l’abri dans la sape que dans le boyau partout éboulé. Lorsqu’ils revinrent, la moitié du vin était renversé, le macaroni plein de terre et Sulphart s’étranglait à injurier Lemoine, qui n’était « pas même foutu de porter un bouteillon ».

Le rata mangé, on commença à jouer aux cartes en attendant le soir. Broucke s’était mis à ronfler ; couché près de lui, Gilbert essayait de rêver.

Soudain il se souleva et nous dit, la voix sèche :

— On creuse là-dessous.

Tous se retournèrent, cartes tombées.

— Tu es sûr ?

Il fit oui, de la tête. Je secouai brutalement Broucke, qui ronflait toujours, et Maroux, Bréval, Sulphart se couchèrent dans la galerie, l’oreille à terre. Nous autres les regardions, muets, le cœur dans l’étau. Nous avions tous compris : une mine… Anxieusement, nous