Page:Dorgelès - Les Croix de bois.djvu/168

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inutile que tout le monde reste ici… Vous comprenez bien ça… Alors… c’est votre escouade qui va rester, Bréval : on a tiré au sort. On va relever les deux sections qui vont se porter en deuxième ligne, et vous resterez ici avec votre escouade et des mitrailleurs… Ce n’est pas beaucoup, mais le colonel a confiance en vous : on sait que vous êtes des braves… Et puis, on n’a pas d’attaque à craindre, puisqu’ils creusent… D’ailleurs, leur mine n’est pas encore près d’être finie, vous n’avez pas à avoir peur… Il n’y a pas de danger, aucun danger… C’est une simple mesure de précaution…

Il commençait à bafouiller, la gorge serrée. Son regard fit encore une fois le tour de l’escouade, cherchant nos yeux à tous. Personne ne dit rien ; seul, Fouillard bredouilla :

— On pourra tout de même partir pour aller à la soupe.

— On vous l’enverra.

Les autres se turent, un peu pâles, c’est tout. Courage ? Non. Discipline. Notre tour était venu…

— On est bons, dit simplement Vieublé.

— Mais non, vous êtes fou, coupa vivement le lieutenant. Ne vous faites pas cette idée-là… Tenez – et il baissa les yeux, gêné – j’aurais bien voulu rester avec vous. C’était ma place. Le colonel n’a pas voulu… Allons, bonne chance.

Sa lèvre inférieure tremblait, une buée mouillait ses yeux sous le lorgnon. Brusquement, il nous donna à tous une poignée de main et s’éloigna, les dents serrées, tout pâle.

Déjà les camarades s’en allaient, en se poussant,