Page:Dorgelès - Les Croix de bois.djvu/187

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Deux cents hommes s’écrasent pour entendre la messe. Les autres se tiennent sous le porche et jusque dans le cimetière, où ils écoutent les cantiques en bavardant, assis sur des coins de tombe.

Les uns arrivent de la tranchée, boueux, le teint gris, les mains terreuses ; d’autres, au contraire, sont tout rouges encore de la toilette à la pompe. On se bouscule, on s’entasse, capotes sales et vareuses d’officiers. Quelques femmes, toutes en deuil, quelques filles, qu’on lorgne en se bourrant du coude, et, à la place d’honneur, un paysan rasé, cinquante ans, très digne dans ses habits noirs du dimanche.

À chaque génuflexion du prêtre, on aperçoit sous la soutane ses molletières bleues : c’est un brancardier de chez nous qui officie. Sur l’unique marche de pierre, quatre soldats barbus égrènent leur chapelet : des prêtres encore. Le vent agite mollement des linges blancs, qui cachent les vitraux brisés.

Pas un chandelier sur l’autel ; le tabernacle même a été enlevé. Il ne reste plus que la Vierge en robe bleue piquée d’étoiles, un bouquet de pâquerettes à ses pieds. Notre-Dame des Biffins…

Elle étend ses deux mains, deux petites mains roses de plâtre peint, deux mains toutes-puissantes qui sauvent qui la prie. Ils ne croient pas tous, ces soldats désœuvrés, mais tous croient à ses mains, ils veulent y croire, aveuglément, pour se sentir défendus, protégés ; ils veulent la prier comme on se serre contre un plus fort, la prier pour n’avoir plus peur et garder, ainsi qu’un talisman, le souvenir de ses deux mains.

Quelques-uns sont venus vraiment pour prier. Les