Page:Dorgelès - Les Croix de bois.djvu/211

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Déjà, la chaîne d’hommes se formait, minces silhouettes, fusils obliques, et progressait, d’un trot égal, face aux tranchées muettes. Sur la gauche, clairons en tête, un bataillon chargeait en criant.

Resté seul, un sabre à la main, un commandant poussait les dernières escouades de bleus qui hésitaient devant le barrage.

— Allons… Dépêchons-nous, dehors, dehors !

Un paquet de gosses monta. Devant eux, comme un grisou, un fusant jaillit ; éruption rouge, volée d’éclats… Un corps haché éclaboussa la sape. Dans la fumée, des voix geignirent.

— Allons-y ! Il n’y a plus de danger… Dehors !

Une autre section, en flageolant, escalada les sacs qui s’éboulaient, mais une rafale hersa le champ. Ils refluèrent…

Ils s’acharnèrent encore, escouade sur escouade, ne sachant plus, hagards. Mais, à chaque effort, le feu les rejetait d’un coup, culbutés dans leur trou. Chaque fois, une salve plongeait sur eux.

— Dehors, nom de Dieu !

Leur pauvre vague battit plus mollement le talus qu’elle ne pouvait pas franchir… Mais non, ils n’osaient plus…

Le commandant grimpa d’un bond.

— En avant, tas de flanchards !

Un petit aspirant les bourrait dans le dos, les forçant à sortir, en criant d’une voix de fille. Trébuchant, leur vivant holocauste parut, chassé du poing, et eut devant la mort comme un sursaut suprême, un dernier recul.

— Ça y est !… En avant !… cria la voix de fille…