Page:Dorgelès - Les Croix de bois.djvu/212

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Ils se ruèrent par la chicane, s’éparpillèrent, foncèrent droit sur le mur de fumée… C’était fini, le barrage était passé…

Émiettés dans les champs, les bataillons couraient et quelqu’un, au delà des premières lignes, agitait un fanion : le village était pris.



Des murs écroulés, des façades béantes, des tas de tuiles et de moellons, des toits tombés tout d’une pièce, des jambes raides surgissant des décombres… La rue, on la devinait à des rails tordus, parfois visibles sous les gravats. On courait de ruine en ruine, s’accotant aux pans de mur, tiraillant devant soi, criblant de grenades des caves vides. On criait…

Le canon tonnait moins fort, mais, par les soupiraux, des mitrailleuses fauchaient le village. Des hommes s’effondraient, pliés en deux, comme emportés par le poids de leur tête. D’autres tournoyaient, les bras en croix, et tombaient face au ciel, les jambes repliées. On les remarquait à peine : on courait.

Quelqu’un blanc de plâtre, cria à Gilbert :

— Lambert est tué !

Autour d’un puits, des hommes se battaient à coups de crosse, à coups de poing, ou au couteau : une rixe dans la bataille. Vieublé, d’un coup de tête, culbuta un Allemand par-dessus la margelle, et l’on vit sauter le calot, un calot gris à bande rouge. Tout cela s’inscrivait dans la pensée en traits précis, brutalement, sans émouvoir : cris d’hommes qu’on tue, détonations,