Page:Dorgelès - Les Croix de bois.djvu/215

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pans de mur. En paquet, nous nous étions entassés dans une rigole étroite, creusée au pied d’une muraille en torchis. Nerveusement, on ramenait sur sa nuque le bourrelet de la couverture roulée, on attendait… Les obus s’acharnèrent un instant, des 88 qui passaient si bas, si près, qu’on s’étonnait de ne pas voir l’herbe fauchée devant soi et qu’on s’enfonçait la tête à deux mains. Puis le tir égaré s’allongea, continuant son cache-cache dans le village. Tout le long du chemin la file d’hommes se redressa, sans quitter ses abris.

— On reste là ? demanda un soldat qui paraissait enfoui dans un large terrier.

— Non, on avance toujours, nous cria Ricordeau qui passait en courant.

— C’est pas la peine, l’autre village là-bas est pris.

— Comment qu’il s’appelle, ce village ?

Personne ne le savait.

— Le coup est loupé, soufflait Fouillard écrasé contre moi. Il va falloir reculer.

Les uns criaient : « On voit la légion qui avance », et d’autres : « Gare ! v’là les Boches qui attaquent. »

— On va être pris de flanc.

— T’es saoul, c’est nos tranchées.

Le bombardement, un instant, les fit taire. Recroquevillés, on vidait les bidons, entre deux rafales.

— Mon capitaine ! On est là, mon capitaine…

Cruchet venait de se laisser glisser du haut du talus, entraînant des plâtras. Berthier courait derrière lui, et ils allaient de trou en trou, se jetant à plat ventre quand soufflait un obus. Le capitaine criait :

— Vous êtes de braves cochons… On va enlever