Page:Dorgelès - Les Croix de bois.djvu/231

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écoutaient, et comme eux seuls avaient lu les journaux, ils nous expliquèrent la bataille, dont nous ne savions rien.

Les camarades arboraient tous des dépouilles ennemies, des casques à leur ceinture, comme des scalps.

— Je te l’achète, proposa un des chauffeurs à un copain.

Tenté par le prix, un autre offrit son butin, et, sur le bord de la route, le marché s’organisa. On vendait toutes sortes de souvenirs, tout ce qu’une attaque peut rejeter d’épaves : des pattes d’épaule, des calots gris, des fusées d’obus — ça fait de baths encriers, gars… » – des chargeurs de Mauser qu’on estimait vingt sous, des sacs au ventre de poil roux, des petits quarts en aluminium, pas encombrants, mais qui vous brûlent les doigts, des bidons recouverts de drap kaki, des cartes postales remplies de tendresses inconnues. Sur certains casques aux aigles éployées, on se penchait curieusement pour regarder le trou meurtrier par où la vie s’était envolée. Sulphart agitait sa paire de bottes jaunes comme une pièce rare.

— Des souliers de Boche, les mecs ! criait-il… Des baths godasses d’officier, qui c’est qui en veut ? Un joli cadeau à faire à une poule… Qui c’est qui veut se propager dans Paname avec des grolles de Boche ?

Il se tut brusquement et ramassa son étalage, comme un camelot surpris.

— Acré, v’là Morache…

Nous ne l’avions pas vu depuis dix jours, depuis le matin de l’attaque. Il n’avait pas quitté une seule minute la cave fétide – la première venue – qu’il avait prise comme poste de commandement, et il en