Page:Dorgelès - Les Croix de bois.djvu/241

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avec de grands pans presque intacts. Il se dessinait tragiquement noir sur ce ciel de guerre d’un blanc cru. De loin en loin, un moignon d’arbre. Était-ce la sucrerie, depuis qu’on en parlait ? Ou bien le parc du château ?

— C’est là, fit tout bas l’agent de liaison.

Il y avait dans le mur une brèche plus large : on y passa. Des baïonnettes s’accrochèrent, un bidon tinta et, chacun suivant la silhouette d’un autre, on avança, butant dans les pierres. Avec un sifflement deux fusées montèrent, d’un jet pareil.

— Ne bougez pas !

La lumière aveuglante éclaira brutalement l’endroit. Immobiles, sans même remuer la tête, les hommes regardèrent. D’un seul coup d’oeil, ils virent les croix, les dalles, les cyprès : nous étions dans le cimetière. C’était un grand chantier de pierres broyées, d’arbres déchiquetés, et, dominant ces ruines, un grand saint sévère tenait sur ses bras joints un livre de marbre où, chaque nuit, les éclats sifflants gravaient des choses.

— Par ici, première section, commanda le sergent Ricordeau.

Notre file le suivit. Une torpille éclata à vingt pas dans une gerbe rouge. Tout le monde s’abattit. Dans le noir, un blessé cria.

— Allons, vite, pressa le sergent… L’escouade à Bréval ici.

Devant moi, aplati contre un parapet de sacs, un guetteur grogna :

— Bande de c… Si vous gueulez comme ça, vous n’en reviendrez pas un. Les Boches ne sont pas à vingt mètres.