Page:Dorgelès - Les Croix de bois.djvu/262

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enroulant sa ceinture de flanelle sans la tendre, comme une corde, autour de son pantalon mouillé.

— Partez point sans mi, suppliait-il.

— En patrouille, les gars ! beuglait Sulphart, déjà sûr de les séduire toutes.

Seul, Gilbert restait calme. Il semblait se méfier.

— Je le connais, Chambosse, me dit-il, un voyou, un bourreur de crâne… Il aura voulu faire marcher ce gros idiot.

Mais les autres étaient déjà prêts.

— On n’attend pas Maroux ? Tous protestèrent, pressés d’y être.

— Ah non, allons-y vite, des fois qu’ils auraient trop de monde. Il nous rejoindra.

Nous partîmes. La terre gercée de cette nuit de novembre sonnait sous les pas comme une boîte creuse. Le ciel lui-même semblait glacé, un grand ciel d’étain sombre, tout piqué d’or. Dans les granges voisines, on chantait en chœur. Par une fenêtre aux carreaux cassés, j’aperçus quelques visages brutalement éclairés par une lanterne, et, dans le fond noir de la salle, des ombres qui dansaient au son de l’accordéon. Devant la mairie, accroupis autour d’une flambée, des mitrailleurs préparaient un brûlot dans une gamelle.

— Où que vous allez ?

— En reconnaissance, leur répondit Sulphart qui courait devant.

On s’était mis en file indienne, comme une relève dans les boyaux. Ne connaissant que cela, on jouait à la guerre.

— Pas si vite en tête, criait Belin.

— Faites passer, la troisième ne suit pas…