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Page:Dorgelès - Les Croix de bois.djvu/263

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— Attention au fil !

Sulphart imitait la voix croassante du commandant.

— Mais on s’y perd, dans ce secteur, on s’y perd. La liaison à moi…

Le clair de lune poudrait les champs et couchait sur la route blanche l’ombre des arbres. La nuit avait détaché les bois ancrés au sol et on les voyait prendre la mer, sur la brume infinie. Là-bas, le canon fatigué n’aboyait plus. On se mit à chanter. Broucke nous conduisait, sans savoir où c’était. Gilbert et moi venions derrière, en nous donnant le bras.

En revenant de Montmartre,
De Montmartre à Paris,
J’rencontre un grand prunier qu’était couvert de prunes,
Voilà l’beau temps…

Nous chantions à tue-tête comme si nous avions voulu dépenser notre joie brutale à coups de gueule.

Voilà l’beau temps,
Ture-lure-lure,
Voilà l’beau temps,
Pourvu que ça dure,
Voilà l’beau temps pour les amants.

— Ne criez pas comme ça, nous dit Maroux qui nous rejoignait au galop. On va se faire poirer.

— Sûrement, approuva Lemoine, qui suivait en traînant ses grands pieds paresseux. Et si les poules entendent gueuler, ça sera midi pour entrer.