Page:Dorgelès - Les Croix de bois.djvu/264

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Obéissants, nous étouffâmes notre joie en gros rires assourdis.

— J’m’en ressens, confessait Sulphart.

— Y paraît que la patronne, c’est une bath brune, expliquait Bouffioux, une belle femme tout à fait.

— Mi, j’l’o vue, s’écria Broucke. Ele o une paire ed’z’yeux grands comme m’n’assiette… Ah ben, si c’est cheulle-lo on auro du plaisir…

Nous arrivions au bout du pays, où les fermes s’espaçaient. Quelque chose de sombre se dessina, tassé sur le bord de la route.

— Une sentinelle ! s’exclama Maroux.

Le soldat, un vieux territorial, nous regardait venir sans émotion, accoudé sur son fusil. Un cache-nez qui l’entortillait jusqu’aux yeux étouffait sa voix.

— Vous n’avez pas le mot ? nous demanda-t-il. C’est Clermont…

On passa vite, heureux de l’aubaine, et bientôt, dans la nuit légère, nous aperçûmes une grande bâtisse peinte de lune, avec ses volets clos.

— C’est là !

À pas muets, nous approchâmes. Oui, c’était bien là : un bouquet blanc était fixé au-dessus de la porte. Tous le virent en même temps et un murmure de joie remercia Bouffioux.

— J’cogne, dit Sulphart agité.

Il frappa. Nous écoutions, respirant à peine, serrés coude contre coude. Broucke avait un petit rire de poule qui glousse. Sulphart, l’oreille collée au panneau de la porte, nous fit signe de nous taire. On entendit marcher, puis une clef tourna dans la serrure et la