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XV
EN REVENANT DE MONTMARTRE


Nous regardions distraitement la campagne : d’Artois ou de Champagne, de Lorraine ou des Flandres, qu’elles soient bordées d’ormes ou de champs blonds, de tourbières ou de vignes, les routes sont toutes les mêmes, pour le biffin : de la poussière ou de la boue qui mène, à rudes étapes, du repos aux tranchées.

Penchés à l’arrière des camions, des soldats aux cils blancs s’amusaient à crier : « Bée ! bée !… » et le convoi ferraillant emportait dans le bruit leur plainte de moutons. D’autres chantaient.

Cette route charriant des hommes, toujours des hommes, me semblait vivre d’une vie infernale, et je croyais voir, au loin, tous ces affluents de poussière qui alimentent intarissablement le lit desséché du grand fleuve sans nom, le large Styx de pierre et de fumée où semblent reposer tous les noyés du monde, sur un limon d’épaves et de lianes rouillées.