Page:Dorgelès - Les Croix de bois.djvu/285

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d’armes, on devinait d’autres troupes, montant ou descendant. Le canon grondait, infatigablement, sans éclat, d’un roulement continu, et, des versants invisibles, les éclairs rouges se répondaient. La route cahotait, plus bossuée à chaque pas, puis sa trace même s’effaçait, elle se perdait dans un désert de gravats. Pas même un boyau, dans ce bouleversement : des pistes sinueuses que les morts jalonnaient.

La relève serpentait, silencieusement. Des compagnies, en file obscure, nous croisaient, si clairsemées qu’elles faisaient peur. Une odeur de poudre, d’acide et de cadavres s’exhalait de cette terre rongée. De loin en loin on distinguait, coupant la plaine, les silhouettes penchées de brancardiers au joug.

On marcha une heure, on traversa les ruines sous lesquelles on entendait parler, on grimpa un chemin rocailleux où nos souliers cloutés patinaient, puis, harassés, on fit la pause. Tout près de nous, à peine protégés par un talus hâtif, des 75 étaient en batterie. Le voisinage déplut à Sulphart.

— Nous faire arrêter juste près des artiflots, c’est bien une idée de Morache. Comme ça, si Fritz se met à tirer, ça sera pour nos gueules.

Comme nous repartions, un ronflement d’obus à bout de souffle nous courba tous : il éclata devant les pièces, avec un bruit foireux.

— Les gaz !

Les mains fouillèrent fiévreusement la boîte à masque. Les lèvres pincées, toute la poitrine murée, on passait vite la cagoule. Bruyamment, des casques roulèrent. D’autres obus éclataient et leur torche rouge éclairait une seconde cette troupe effrayante de sca-