Page:Dorgelès - Les Croix de bois.djvu/286

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phandriers égarés qui cherchaient une nuit plus épaisse pour y plonger.

On marchait vite. À la lueur des éclatements, je devinais, sur la pente, un morne éboulement de corps, de pierres, de loques, d’armes brisées. Puis, le masque brouillé me cacha tout ; je suffoquais sous mon bâillon, les poumons brûlants, et sentant à mes tempes l’agaçant chatouillement de la sueur. La relève filait quand même, aveuglée, et à tâtons, elle s’engagea dans un large boyau. Des hommes accroupis mangeaient. Nous retirâmes nos masques.

— Ayez pas peur, gouaillèrent les camarades qui ramenaient leurs jambes pour nous laisser passer, c’est des boules puantes !… Si vous mettez vos groins à chaque coup, vous n’aurez même plus le temps de becqueter, ils nous en sonnent toute la journée.

Des corvées passaient, chargées de pieux, de tôles, d’outils, d’araignées barbelées qui agrippaient nos sacs et ne les lâchaient plus.

Écrasés sous leur charge, bousculés, haletants, les hommes nous grognaient des injures, pour se soulager, comme ils auraient insulté leurs caisses de fusées, leurs sacs de grenades, ou les cerceaux de réseau brun, qui les faisaient pareils à des écuyers de cirque. Le cheminement parfois s’élargissait, s’étalant presque au ras des champs, puis il se renfonçait peureusement entre deux murs de sacs éventrés. Plus loin, il s’évasait de nouveau, formant comme un large carrefour, et l’on devinait, dans ces ténèbres, un étrange mouvement d’ombres silencieuses. Des soldats débouchaient des boyaux, d’autres arrivaient par les pistes, tous penchés en avant comme sont les haleurs, et l’on ne compre-