Page:Dorgelès - Les Croix de bois.djvu/302

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pluie traînaient en flaques jaunâtres que le vent fripait, et quelques gouttes espacées y faisaient des ronds. La pluie n’espérait pourtant pas laver cette boue, laver ces haillons, laver ces cadavres ? Il pourrait bien pleuvoir toutes les larmes du ciel, pleuvoir tout un déluge, cela n’effacerait rien. Non, un siècle de pluie ne laverait pas ça.

Aucune défense devant nous, pas un pieu, pas un fil de fer. Des bosses, des trous, une terre lacérée où germaient des débris et, à douze cents mètres, le bois qu’il fallait enlever, morne pépinière de troncs déchiquetés.

On disait que l’attaque était pour huit heures, mais personne n’en savait rien. Toute la nuit, les agents de liaison avaient apporté des ordres, des contre-ordres ; une note envoyée au commandant lui avait signalé que le plan du secteur qu’on lui avait remis au départ n’était pas à jour, et Ricordeau faisait demander depuis l’aube si l’ouvrage de sacs à terre qu’on apercevait sur la gauche était aux Allemands ou bien à nous. Une seule fois notre artillerie avait donné, mais les obus tombant trop court avaient tué les guetteurs du petit poste et nous avions vite lancé une fusée demandant d’allonger le tir. Depuis l’artillerie n’avait plus tiré.

Recroquevillés sous leur couverture, des soldats sommeillaient encore, et les agents de liaison les enjambaient en se pressant, sans savoir si c’étaient des vivants ou des morts.

— Il est tué, celui-là ?

— Pas encore, attends à ce soir, bougonnait l’homme en ramenant ses pieds.