Page:Dorgelès - Les Croix de bois.djvu/303

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Blotti dans un coin, Bouffioux, ne voulait plus quitter son masque, effrayé à la moindre bouffée de poudre que le vent rabattait sur nous. Pendant une heure, on l’avait entendu bredouiller : « Ça sent la, pomme… Ça sent la moutarde… Ça sent l’ail… » et à chaque fois, il remettait peureusement sa cagoule ». Maintenant, il ne la retirait plus, et tapi dans son trou, on eût dit un monstre de carnaval, avec cette hure qui dodelinait.

— C’est les plus foireux qui crèvent, lui cria un copain, pour lui redonner courage.

On ne se parlait pas. Quelques-uns mangeaient, arrosant leur pain de la pluie qui ruisselait du casque ; les autres attendaient, le dos hottu, sans rien regarder, sans rien dire.

Entre deux explosions, un lourd silence pesait sur la tranchée, et quand on regardait les camarades bien en face, on croyait voir dans leurs yeux las une même pensée, comme un reflet du ciel livide. Soudain, un commandement se répéta :

— Faites passer, la montre du colonel…

On se la passait de main en main, et sans un mot, les chefs de section prenaient l’heure.

C’était un petit boîtier d’argent, bombé et ciselé comme un cadeau de communiante, avec ses guirlandes de roses. Et c’était elle, elle seule qui savait l’heure, l’instant terrible où il faudrait sortir des trous, foncer dans la fumée, droit aux balles.

— J’ai acheté la pareille à ma petite fille, me dit un camarade.

Gilbert, toujours un peu fiévreux les jours de coup, dur, était étrangement calme, ce matin-là. Il y avait