Page:Dorgelès - Les Croix de bois.djvu/41

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sait quel code mystérieux et compliqué de signaux nocturnes entre les paysans allumant leur chandelle et l’état-major ennemi.

Harassé, tendant le cou comme un cheval qui monte une côte, Demachy suivait le braconnier. Quand la file s’arrêtait, il allait buter dans son sac, et attendait, engourdi, que ça reparte. Sa fatigue même avait disparu : il était une chose exténuée, sans volonté, qu’on pousse. Les yeux tournés vers les premières lignes, il cherchait cependant à voir les fusées, entre deux murs. C’était pour lui une déception, cette première vision de la guerre. Il aurait voulu être ému, éprouver quelque chose, et il regardait obstinément vers les tranchées, pour se donner une émotion, pour frissonner un peu.

Mais, il se répétait : « C’est la guerre… Je vois la guerre » sans parvenir à s’émouvoir. Il ne ressentait rien, qu’un peu de surprise. Cela lui semblait tout drôle et déplacé, cette féerie électrique au milieu des champs muets. Les quelques coups de fusil qui claquaient avaient un air inoffensif. Même ce village dévasté ne le troublait pas : cela ressemblait trop à un décor. C’était trop ce qu’on pouvait imaginer. Il eût fallu des cris, du tumulte, une fusillade, pour animer tout cela, donner une âme aux choses : mais cette nuit, ce grand silence, ce n’était pas la guerre…

Et c’était bien elle pourtant : une rude et triste veille plutôt qu’une bataille.

La rue s’arrêtait brusquement, coupée par une barricade faite de herses et de tonneaux. Il fallait la franchir un par un, en se glissant sous un timon qui accrochait les sacs.