Page:Dorgelès - Les Croix de bois.djvu/46

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avec une poignée d’herbe, il commençait à boire notre pinard avec plaisir, et n’avait plus honte de faire ses besoins devant les autres.

— Tu te fais, gars, tu te fais, constatait Bréval avec satisfaction.

Vautré sur la paille pourrie de sa niche, Sulphart somnolait, ne laissant couler qu’une mince bande de lumière dans ses yeux mi-clos. Il tirait de lentes bouffées de sa pipe au tuyau mâchonné et rêvassait à la foire Saint-Romain, avec ses bals, ses manèges, ses loteries, ses tirs, toute une joie pétaradante sentant les frites et le gros vin.

N’ayant pas de veille à prendre, ils s’étendaient l’un après l’autre, fatigués de la longue nuit passée à charrier des tôles ondulées. Vairon grognait dans un demi-sommeil, le ronflement de Lemoine l’empêchant de dormir. Ceux qui n’avaient pas de tanière s’étaient couchés dans la tranchée, enroulés dans leur couverture. Dans un trou, des voix piailleuses de manilleurs. Tous les autres s’assoupissaient.

Brusquement, une rafale d’explosions les secoua. Ce fut une seconde d’affolement. Ils se levaient, sortaient des trous, se bousculaient pour prendre leurs fusils, tout de suite hébétés par le tonnerre assourdissant de l’artillerie subitement déchaîné.

Au même signal, sur toute la ligne, nos pièces s’étaient mises à tirer, et dans ce déchirant fracas, on n’entendait même plus les obus rayer l’air. Nous nous étions précipités aux créneaux, fouillant déjà la cartouchière.

Au bout du terrain vague qui séparait les deux réseaux, juste sur la ligne allemande dont on aperce-