Page:Dorgelès - Les Croix de bois.djvu/47

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vait encore le lacet sinueux dans la fumée, les obus tapaient à coups furieux, faisant voler des morceaux de tranchée blanche, comme des copeaux sous un rabot de menuisier.

Énervés, nous courions de droite à gauche, on s’appelait, on se renseignait l’un l’autre, sans rien savoir.

— C’est les Boches qui attaquent… C’est un barrage…

— Non, c’est pour faire sauter leurs mitrailleuses.

— Il paraît que le troisième bataillon va sortir pour enlever le bois…

Chaque obus soulevait une longue gerbe de terre dans un nuage de fumée ; ceux qui tombaient sur le bois déracinaient des arbres entiers et les jetaient dans le taillis, tout droits, intacts, comme de gros bouquets. Un agent de liaison passa vite, en nous bousculant.

— Tout le monde dans les gourbis ! C’est un tir d’une demi-heure, ils vont peut-être répondre.

Personne ne rentra. Toute la tranchée massée regardait le spectacle, et comme l’artillerie allemande ne répondait pas, les plus prudents devenaient braves. Fouillard s’était même assis sur le parapet, pour n’en rien perdre.

Quand une salve bien pointée donnait sur la tranchée ses quatre coups de pic, arrachant une gerbe de terre, de pierres et de madriers, un cri d’admiration montait, une clameur ravie de feu d’artifice. Dans le vacarme, on n’entendait plus que ce rire heureux, ce rire honnête, comme si nous avions jugé l’effet de balles à massacre, sur les têtes de bois d’une noce villageoise. Parfois un cri dominait le tumulte.