Page:Dorgelès - Les Croix de bois.djvu/48

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— Visez, les gars, un poilu qui saute, hurlait Vairon avec des gestes désarticulés.

— T’as des visions, ripostait Lemoine, jaloux de n’avoir rien vu, c’est un rondin.

— De quoi ! Je te dis que c’est un Boche, même qu’il avait les panards en l’air.

Puis, un gros noir arrivait, haletant, comme un rapide entrant en gare, et tous les yeux braqués guettaient l’endroit où il allait tomber. C’était alors un énorme geyser noir qui jaillissait, zébré de feu, puis on entendait tonner le coup.

— Ah, le bath ! criait la tranchée.

Le bois bombardé fumait comme une usine. Gesticulant dans la cohue, Sulphart braillait sa joie.

— Qui n’a pas gagné va gagner ! C’est à la chance et à l’idée du joueur… Allons, pressons-nous, qui n’a pas sa plaque, six pour deux sous.

Il agitait d’une main des numéros imaginaires, comme un marchand forain, et ses beuglements couvraient le vacarme. Avec un affreux craquement d’os broyés, d’autres éclataient encore, arrachant les fils de fer ainsi que des rubans.

— Boum ! Le monsieur a gagné un superbe poulet d’Inde. Allons, au suivant ! Risquons-nous. Au petit bonheur la chance…

Un coup tonna plus sourd, en plein dans la tranchée, arrachant une grosse gerbe de terre et de rondins.

— C’te fois, ça y est, cria Vairon, qui tenait à son idée. J’ai vu sauter le poilu. Il est retombé sur le talus.

Les autres, qui n’avaient encore rien vu, guettaient anxieusement le prochain coup, le regard fixe. Dema-