Page:Dorgelès - Les Croix de bois.djvu/50

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tendaient le cou, dressés sur le bout carré de leurs godillots.

— Je vais faire un carton, dit Vairon, en chargeant son fusil.

Il épaula, visa à peine, lâcha le coup… Encore abasourdi par la détonation, il entendit le cri furieux de l’adjudant Morache, qui arrivait sur lui en gesticulant, brandissant son bâton comme s’il allait le battre.

— Qui est-ce qui a tiré ?… Je veux savoir qui a tiré… C’est vous ? Vous serez puni.

Son visage maigre tout crispé, il glapissait sous le nez de Vairon interdit.

— Alors, c’est défendu de tuer les Boches, maintenant, riposta l’autre mollement… En trois mois, c’est la première fois que je tire…

— Taisez-vous, je vous défends de discuter.

Vairon, devenu blême, baissa sa tête volontaire de grand voyou et déchargea son lebel, serrant les dents sur sa colère.

— C’est bon, murmura-t-il tout de même, on ne vous les tuera pas vos Boches… Mais alors je me demande ce qu’on fout ici…

— Comment ? Qu’est-ce que vous dites ? cria Morache à se casser la voix. Je vais prévenir le capitaine.

Vairon se tut. Il s’éloigna, traînant son fusil comme un gourdin inutile. Puis, pour punir ses chefs, il se désintéressa ostensiblement du bombardement et alla s’étendre dans son trou. Il sortit sa blague et roula une cigarette, d’une main qui tremblait encore. Une série de détonations cuivrées lui fit lever le nez, en connaisseur.

— Des fusants, murmura-t-il.