Page:Dorgelès - Les Croix de bois.djvu/51

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Le cri d’admiration de la tranchée lui fit regretter de ne les avoir pas vus, mais il avait sa dignité d’homme : il ne se releva pas. À ce moment, nette et sèche dans le fracas, on entendit taper une mitrailleuse allemande. Ce fut plus fort que lui : il bondit au créneau.

Nous nous étions arrêtés de crier, étonnés, un peu inquiets. La mitrailleuse tirait toujours, exaspérante, semblant enfoncer des clous. Et brusquement nous vîmes sur qui elle tirait.

— Des poilus qui sortent !… On attaque de l’autre côté du ruisseau…

Tout le monde avait crié ensemble, puis aussitôt, on s’était tu, anxieux, cloués. Une compagnie venait de sortir des tranchées, sur notre gauche, et en tirailleurs, sans sacs, à la baïonnette, les soldats couraient dans les champs nus. Le régiment voisin tentait un coup de main et c’étaient eux que cherchait la maxim au tap-tap régulier de machine à coudre. Le tir, s’étant fixé, parut faire dans la ligne d’hommes un large accroc.

— Ils sont fauchés.

— Non, ils se planquent…

Les soldats redressés couraient, se couchaient, repartaient, mais malgré le barrage qui pilait leur ligne, les Allemands s’étaient mis à tirer, et l’on voyait dans le grand terrain vague, tournoyer, culbuter des hommes. Il y en avait qui, couchés, s’agitaient encore, se traînaient vers les trous d’obus. D’autres, tombés lourdement en paquet, ne bougeaient plus. La fusillade crépitait, plus serrée, mais ce qui restait de la compagnie fonçait quand même, les soldats dispersés se