Page:Dorgelès - Les Croix de bois.djvu/55

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perdue dans ce vaste horizon tranquille. Ne sachant rien, on écoutait se battre les deux bruits, et quand le silence retombait après un feu de salve, nous pensions : « Ça y est… Ils ont repoussé les Boches. »

Sulphart rebattait les cartes, et Broucke, pour se bercer, reprenait sa chanson :

Dors, min p’tit quinquin,
Min p’tit pouchin,
Min p’tit ruchin…

Les autres dormaient déjà. Dans le fond obscur de la paillote, on n’entendait plus que le bruit régulier des ongles d’un copain qui se grattait le ventre, tourmenté par les poux. La fusillade, en reprenant, ne les réveillait pas. Devant les cagnas, le capitaine veillait seul, grand corps maigre, tout en jambes. Il attendait Bourland, un de ses hommes de liaison, qu’il avait envoyé à la route pour avoir des nouvelles. J’entendis le retour des souliers cloutés du soldat.

Peu après, un ordre passa de hutte en hutte : « Debout… Rassemblement. »

Comme la fusillade semblait s’étendre, on sortit vite, en se poussant, les mains se disputant les fusils dans l’ombre. Rapidement, les sections s’alignèrent. Les hommes réveillés frissonnaient, surpris par la nuit glacée.

— La quatrième compagnie va peut-être avoir besoin de nous, nous dit le capitaine de sa voix sèche. Ils s’attendent à une attaque. Donc, défense expresse de se déchausser, n’est-ce pas. On gardera les sacs