Page:Dorgelès - Les Croix de bois.djvu/59

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Ils mirent baïonnette au canon et les fusils s’allongèrent d’une lueur mince. Le caporal se redressait lorsqu’une fusée siffla.

— Ne bougez pas !

Ils restèrent immobiles. La fusée épanouie retombait, hochant sa tête éblouissante. Accroupis en rond, ils semblaient prêts à danser la capucine. Sur la crête, une file d’hommes se découvrit, chargée de rondins et d’outils, puis disparut, la fusée morte.

— Allons-y.

La fusillade un instant apaisée se ranimait parfois, pour se taire aussitôt.

— Écoute-les, grommela le caporal. Ils ne veulent pas laisser une betterave debout.

— On vous a attaqués ?

— Les poteaux du chemin de fer, oui, et la meule de paille. C’est là-dessus qu’on tire depuis deux heures… Heureusement qu’ils ne visent pas par ici ces c…-là.

Ils avançaient en tirailleurs, espacés de quelques pas. Un grand marchait tout cassé, comme un bineur. Gilbert allait devant. À la crête, une sourde rumeur animait l’ombre, des tintements de pelle. Puis on entrait dans l’inconnu.

Ils faisaient cent pas, s’agenouillaient, fouillaient le champ d’un œil aigu, repartaient. Le caporal piqua une forme noire du bout de sa baïonnette… Le cœur de Gilbert fit un bond.

— Rien… Une gerbe.

Ils devaient approcher du ruisseau lorsque la nuit sembla s’éclairer. Il n’y avait plus devant la lune qu’un mince rideau ; le vent le tira et les champs