Page:Dorgelès - Les Croix de bois.djvu/61

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pour prendre les papiers. Il eut à peine un frisson nerveux, quand il sentit la chair froide du cou, sous ses doigts craintifs. Le caporal, penché, prenait déjà la médaille d’un autre.

Les pauvres camarades qu’ils revenaient voir dans leur néant, devaient revivre pour un instant sous leurs gestes fraternels. Et réveillés, miséricordieux, c’étaient les morts qui guidaient la patrouille, semblant se passer les vivants de main en main.



Gilbert est rentré au petit jour.

— J’ai conduit la patrouille jusqu’au réseau boche, a-t-il rendu compte au capitaine.

Cruchet a seulement répondu :

— Ah !…

Et il a eu un tel sourire d’incrédulité que Gilbert en a rougi. Quelqu’un a aussitôt raconté l’histoire à sa façon et des camarades ont regardé le volontaire d’un air narquois.

— Y en a qui savent bourrer la caisse, a dit Fouillard, à la cantonade… Il les aura, ses galons de cabot.

Et un autre :

— Tu te planques dans un trou pendant deux heures, tu comprends, et tu racontes après que t’as visité leur poste d’écoute.

Gilbert, qui parlait avec nous, n’a pas riposté. Un petit sourire amer lui plissait les lèvres.

— Je vais emmailloter mon fusil comme toi, a-t-il dit à Lemoine, la pluie a tout rouillé le mien.

Il s’est éloigné, la tête basse. Assis à l’entrée du