Page:Dorgelès - Les Croix de bois.djvu/65

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Un fourrier cria, tout courant.

— Ça va, mon capitaine. J’ai déjà trouvé un bon cantonnement pour les chevaux.

La pluie tombait toujours, fine, froide et molle. Là-haut, entre les berges blafardes des maisons, la nuit coulait, comme une eau noire.



Toute la maison braille, de la cour au grenier. Dans la cuisine, d’où s’envole une âcre fumée de bois vert, on se bat pour des quarts de jus. Dans l’escalier, on grimpe, on dégringole, on chante.

Mais ici, au jardin, tout est tranquille. J’ai pris, pour m’asseoir, le seau que j’ai retourné et, adossé à la muraille, installé comme sur un fauteuil, je rêvasse. C’est le petit matin. Il n’y a pas longtemps que le jour a fini sa toilette : l’herbe est encore toute mouillée. Et le ciel sort des brassées de nuages blancs qu’il met à sécher, comme du linge.

L’œil indolent, encore lourd de sommeil, je regarde le jardin en friche, avec ses arbustes dépouillés, ses plants d’herbe folle et sa pompe grinçante où des camarades se nettoient. Je paresse entre veille et somme.

On a bien dormi. Pour la première fois depuis quinze jours, on a pu se déchausser, retirer le ceinturon, la baïonnette, tout ce sale équipement qui vous meurtrit les reins. Je me suis réveillé comme je m’étais couché : saucissonné dans ma couverture, la tête dans un placard, avec le plancher pour matelas et un sac